Article publié dans Usine Nouvelle. Paris, le 22 octobre 2018
La fiducie se met au service des entreprises
Le “trust” à la française commence à se faire une place. Il permet de sécuriser des financements ou des actifs des entreprises.
C’est un mode de financement encore peu connu. Le contrat de fiducie, créé par la loi du 19 février 2007, commence pourtant à être utilisé pour sécuriser des prêts à long terme pour les entreprises en croissance. Cette solution, la scierie industrielle Provost SA l’a choisie pour financer le développement de son activité de transformation de bois exotiques à destination des marchés de l’ébénisterie et de la tonnellerie.
La fiducie est encore méconnue pour ce type d’utilisation, elle est plus souvent liée aux entreprises en difficulté, qui mettent en sécurité une partie de leurs actifs. La société Equitis s’est ainsi occupée des fiducies de la raffinerie Petroplus, en plaçant les stocks dans une fiducie pour assurer le paiement du plan social, ou encore celle de la restructuration de La Redoute, lors de la cession par Kering. Le Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) a notamment de plus en plus recours à la fiducie pour protéger les fonds publics qu’il débloque lors de ses opérations de sauvetage.
La scierie Provost devait, quant à elle, financer le développement de son activité. La PME familiale a pour cela eu recours au fonds de prêt géré par Solutions fiducie. “Nous sommes agréés pour gérer des fonds de dette et pour agir comme fiduciaire, explique Renaud Baboin, le président de Solutions fiducie. Nos prêts sont donc assortis d’une sûreté fiduciaire.” Concrètement, la scierie Provost a placé son stock de bois au sein d’une fiducie, qui vient garantir le prêt consenti par son partenaire financier. La fiducie consiste en effet à transférer la propriété d’un actif au sein d’une structure gérée par un tiers (le fiduciaire). La gestion est effectuée selon les termes du contrat et se fait au profit d’une troisième partie. Plusieurs types de biens peuvent être placés dans un tel mécanisme, aussi bien des titres financiers (actions d’une entreprise, créances…) que des biens immobiliers, des équipements et des stocks. “Les stocks sont rarement utilisés comme assise d’une dette, car un stock vieillit mal, précise Renaud Baboin. L’avantage d’une fiducie, c’est qu’on peut le gérer directement et le revendre vite.” Dans le cas de la société Provost, le fiduciaire lui revend le bois au fur et à mesure des besoins de son exploitation.
Un outil pour préserver les actifs
Les stocks placés en fiducie viennent garantir le prêt accordé à la scierie par le fonds de dette de Solutions fiducie. Celui-ci peut financer des entreprises pour des montants compris entre 1,5 million et 5 millions d’euros pour une durée allant de cinq à sept ans. En l’occurrence, la PME a pu négocier un emprunt sur sept ans, le prêt étant garanti par les stocks placés en fiducie. À la différence d’un crédit bancaire, le prêt de Solutions fiducie est remboursable en fin de contrat et non tout au long de la vie du prêt. “Il s’agit de fonds permanents, qui permettent de se consacrer pleinement aux projets de développement”, reprend Renaud Baboin. Le fiduciaire apparente d’ailleurs cette opération plutôt à du capital investissement qu’à du crédit. Avec l’avantage de ne pas diluer le capital de l’entreprise, qui demeure indépendante, mais l’inconvénient d’être plus coûteux que la dette bancaire. Le taux d’intérêt de la fiducie tourne autour de 7 %.
Enfin, la fiducie permet de préserver un actif. En le sortant du patrimoine de l’entreprise, elle le met en effet hors de portée des créanciers en cas de cessation de paiement. Des entreprises en ont fait un argument commercial ! Comme l’étude généalogique Guénifey, qui s’occupe de chercher les héritiers pour le compte des notaires. En cas de faillite, les héritages confiés par les notaires risquent de disparaître aux mains des créanciers. Placés en fiducie, ils sont protégés.
Une convention tripartite
Le schéma juridique d’une fiducie, inspiré du trust anglo-saxon, est atypique en droit français. Trois parties sont présentes au contrat : le propriétaire de l’actif appelé le constituant, le fiduciaire qui gère la fiducie, et le bénéficiaire pour le compte duquel la fiducie est créée. Son principe consiste en un transfert temporaire de propriété. Le propriétaire de l’actif (bien immobilier, stock, titres de participation d’entreprises…) choisit de s’en défaire en le plaçant dans la fiducie et de le sortir de son patrimoine pour une durée définie au contrat. Une sortie partielle… Car depuis 2014, le législateur a garanti la neutralité fiscale de la fiducie, qui permet au propriétaire de conserver le bénéfice de régimes fiscaux liés à son actif.
Arnaud Dumas, Journaliste chez L’Usine Nouvelle